La faille sacrée
Si je suis ici, vivante et tangible sur cette Terre, c’est bien parce que je suis une créature, un être humain.
C’est ainsi que j’ai été façonnée, avec toute la complexité, la fragilité et la grandeur que cela implique. Comprendre ce qu’est l’être humain c’est en réalité tenter de me comprendre moi-même au plus profond. Car en chacun de nous résonne cette même nature humaine, un mélange de chair, d’âme et de conscience.
Selon les traditions religieuses, Dieu aurait créé l’homme à son image lui insufflant une essence divine. Dans le Coran, la sourate Sâd (38), versets 71-72, relate : « Je vais créer d’argile un être humain. Quand Je l’aurai bien formé et lui aurai insufflé de mon esprit, jetez-vous devant lui prosternés. »
La Bible, dans le livre de la Genèse (1:26-27), évoque aussi cette création : « Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. »
Et pourtant, paradoxalement, cette créature porteuse de lumière est aussi capable d’ombres terribles. Sans détailler les horreurs que l’homme peut commettre, nous savons qu’il est capable du pire. Comment un être doté de conscience, d’un souffle divin même peut-il devenir l’ombre de ce qu’il est ?
Je me tourne alors vers un verset qui me passionne. Tiré du Coran, sourate Al-Baqara (30). Avant même de créer Adam, Dieu annonce son projet aux anges, qui s’étonnent : « Vas-Tu mettre sur terre celui qui sèmera le désordre et répandra le sang alors que nous, nous te sanctifions et te glorifions ».
Les anges, créatures de lumière et d’obéissance, ne saisissent pas cette contradiction. Et pourtant, Dieu créa l’homme.
Pourquoi Dieu choisit-Il de créer un être à la fois si parfait dans son origine et si imparfait dans ses actes ? Est-ce un acte de confiance divine en sa capacité à évoluer, à apprendre, à réparer ?
Ce paradoxe, certains y voient une faille. Si Dieu est parfait, pourquoi le mal existe-t-il ? Le philosophe Épicure, déjà au IIIe siècle av. J.-C., posait la question : « Dieu veut-il empêcher le mal, mais ne le peut pas ? Alors il est impuissant. Dieu le peut-il, mais ne le veut pas ? Alors il est méchant. Dieu le peut-il et le veut-il ? Alors d’où vient le mal ? »
Mais des voix spirituelles comme celle de Rûmî nous offrent une autre lecture. Pour lui, Dieu est un artiste. Le mal tout comme le bien participe à son œuvre. « Le mal aussi vient de lui… Ce don du mal est en soi une preuve de sa perfection… Les peintures laides comme les belles témoignent de sa maîtrise. » Rûmî affirme que dans la création, il n’y a ni mal ni bien absolu. Tout participe à la révélation divine. Dieu seul en tant qu’unité transcende les opposés. Il est la coïncidence des contraires.
« Les opposés qui semblent en lutte sont en réalité unis et agissent en harmonie. »(Mathnawi)
Un autre maître spirituel, Frithjof Schuon, explique que même le mal manifeste l’infinitude du possible. Il appelle cela « la possibilité de l’impossible ». Dans cette vision, Dieu n’est pas absent du mal mais il l’encadre. Il en fait un révélateur, un contraste qui fait ressortir la lumière. Une parole mystique dit : « J’étais un trésor caché, et j’ai désiré être connu. J’ai donc créé la création afin d’être connu. »
Cela signifie que Dieu, invisible et mystérieux a voulu se révéler. L’univers, les êtres, la vie ne sont pas là pour lui, mais pour que nous puissions le découvrir, le reconnaître. À travers tout ce qui existe, Dieu se donne à voir, non pour sa propre gloire, mais pour que nous puissions grandir en connaissance de lui.
Chaque être, conscient ou non est une manifestation de Dieu. « Tous les hommes, jour et nuit, manifestent Dieu, certains en sont conscients d’autres non. » (Fîhi mâ fîhi)
Et pourtant, nombreux sont ceux qui diront le mal vient de Satan.
Le Coran décrit cet instant-clé. Dieu crée Adam d’argile, ordonne aux anges de se prosterner. Tous obéissent, sauf Iblis. Il refuse, méprise cette création : « Je suis meilleur que lui, tu m’as créé de feu, et tu l’as créé d’argile. » (Sourate Sâd)
Ce refus n’est pas qu’un acte de désobéissance. C’est un rejet de la nature humaine. Un déni de sa valeur. Satan devenu l’adversaire et se jure de prouver que l’homme ne mérite pas cet honneur. Il le tente, le détourne espérant le faire chuter.
Mais peut-être faut-il aller plus loin.
Et si l’adversaire n’était pas toujours extérieur ?
Ibn Arabi l’exprimait ainsi : « Celui qui se connaît lui-même connaît son Seigneur. »
L’homme est un miroir du divin, voilé par son ego, son nafs, cette part basse de l’âme qui l’éloigne de sa propre lumière. Rûmî, encore lui, disait que le vrai combat se joue à l’intérieur. Iblis, aveuglé par l’orgueil, n’a vu que l’argile. Il a méprisé le souffle divin. Il n’a pas cru en cette lumière capable de transcender l’instinct.
Et peut-être que le véritable piège, c’est ça : accuser Satan… alors que bien souvent, c’est notre propre cœur qui nous égare.
Il y a en nous une force capable d’un amour immense, mais aussi d’un déni glacial. Une lumière mais aussi une ombre. Il faut parfois craindre sa propre âme plus que n’importe quel démon.
Et si je me pose toutes ces questions, sans toujours trouver de réponse, c’est parce qu’au fil de ma vie bien que courte, j’ai vu des choses. J’ai croisé une humanité lumineuse, rayonnante, aimante, mais aussi sa face sombre, violence, cruauté, indifférence. Parfois, j’ai vu les deux dans un même regard, un même geste.
Je ne prétends pas toujours comprendre, ni avoir toutes les réponses. Parfois c’est dans l’acceptation du mystère que naît la paix. Mais je me demande, qu’est-ce qu’être humain au fond ?
Peut-être que c’est justement cette tension entre lumière et obscurité. Cette imperfection, ce déséquilibre constant et ces forces contraires qui cohabitent en nous. Ce paradoxe vivant.
Le combat du bien contre le mal, n’est-ce pas avant tout un combat intérieur ? Un théâtre invisible où se rejouent sans cesse les mêmes choix ?
L’homme est à la fois son propre ennemi et sa propre raison d’espérer.
C’est dans cette lutte intime cette confrontation avec soi-même, que réside peut-être la vraie nature humaine.
Alors, je m’adresse à l’univers
À cette force mystérieuse qui a tout façonné
Je lui murmure combien l’être humain m’apparaît
à la fois parfait et imparfait
un paradoxe vibrant, une faille sacrée
Je lui confie mon émerveillement
ma confusion
Et peu à peu
je comprends un peu mieux
ce que veut dire ce souffle divin
qui anime toute chose.
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La faille sacrée
Si je suis ici, vivante et tangible sur cette Terre, c’est bien parce que je suis une créature, un être humain.
C’est ainsi que j’ai été façonnée, avec toute la complexité, la fragilité et la grandeur que cela implique. Comprendre ce qu’est l’être humain c’est en réalité tenter de me comprendre moi-même au plus profond. Car en chacun de nous résonne cette même nature humaine, un mélange de chair, d’âme et de conscience.
Selon les traditions religieuses, Dieu aurait créé l’homme à son image lui insufflant une essence divine. Dans le Coran, la sourate Sâd (38), versets 71-72, relate : « Je vais créer d’argile un être humain. Quand Je l’aurai bien formé et lui aurai insufflé de mon esprit, jetez-vous devant lui prosternés. »
La Bible, dans le livre de la Genèse (1:26-27), évoque aussi cette création : « Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. »
Et pourtant, paradoxalement, cette créature porteuse de lumière est aussi capable d’ombres terribles. Sans détailler les horreurs que l’homme peut commettre, nous savons qu’il est capable du pire. Comment un être doté de conscience, d’un souffle divin même, peut-il devenir l’ombre de ce qu’il est ?
Je me tourne alors vers un verset qui me passionne. Tiré du Coran, sourate Al-Baqara (30). Avant même de créer Adam, Dieu annonce son projet aux anges, qui s’étonnent : « Vas-Tu mettre sur terre celui qui sèmera le désordre et répandra le sang alors que nous, nous te sanctifions et te glorifions ».
Les anges, créatures de lumière et d’obéissance, ne saisissent pas cette contradiction. Et pourtant, Dieu créa l’homme.
Pourquoi Dieu choisit-Il de créer un être à la fois si parfait dans son origine et si imparfait dans ses actes ? Est-ce un acte de confiance divine en sa capacité à évoluer, à apprendre, à réparer ?
Ce paradoxe, certains y voient une faille. Si Dieu est parfait, pourquoi le mal existe-t-il ? Le philosophe Épicure, déjà au IIIe siècle av. J.-C., posait la question : « Dieu veut-il empêcher le mal, mais ne le peut pas ? Alors il est impuissant. Dieu le peut-il, mais ne le veut pas ? Alors il est méchant. Dieu le peut-il et le veut-il ? Alors d’où vient le mal ? »
Mais des voix spirituelles comme celle de Rûmî nous offrent une autre lecture. Pour lui, Dieu est un artiste. Le mal, tout comme le bien, participe à son œuvre. « Le mal aussi vient de lui… Ce don du mal est en soi une preuve de sa perfection… Les peintures laides comme les belles témoignent de sa maîtrise. » Rûmî affirme que dans la création, il n’y a ni mal ni bien absolu. Tout participe à la révélation divine. Dieu seul, en tant qu’unité, transcende les opposés. Il est la coïncidence des contraires.
« Les opposés qui semblent en lutte sont en réalité unis et agissent en harmonie. »(Mathnawi)
Un autre maître spirituel, Frithjof Schuon, explique que même le mal manifeste l’infinitude du possible. Il appelle cela « la possibilité de l’impossible ». Dans cette vision, Dieu n’est pas absent du mal, mais il l’encadre. Il en fait un révélateur, un contraste qui fait ressortir la lumière. Une parole mystique dit : « J’étais un trésor caché, et j’ai désiré être connu. J’ai donc créé la création afin d’être connu. »
Cela signifie que Dieu, invisible et mystérieux a voulu se révéler. L’univers, les êtres, la vie ne sont pas là pour lui, mais pour que nous puissions le découvrir, le reconnaître. À travers tout ce qui existe, Dieu se donne à voir, non pour sa propre gloire, mais pour que nous puissions grandir en connaissance de lui.
Chaque être, conscient ou non, est une manifestation de Dieu. « Tous les hommes, jour et nuit, manifestent Dieu, certains en sont conscients, d’autres non. » (Fîhi mâ fîhi)
Et pourtant, nombreux sont ceux qui diront le mal vient de Satan.
Le Coran décrit cet instant-clé. Dieu crée Adam d’argile, ordonne aux anges de se prosterner. Tous obéissent, sauf Iblis. Il refuse, méprise cette création : « Je suis meilleur que lui, tu m’as créé de feu, et tu l’as créé d’argile. » (Sourate Sâd)
Ce refus n’est pas qu’un acte de désobéissance. C’est un rejet de la nature humaine. Un déni de sa valeur. Satan devenu l’adversaire, se jure de prouver que l’homme ne mérite pas cet honneur. Il le tente, le détourne, espérant le faire chuter.
Mais peut-être faut-il aller plus loin.
Et si l’adversaire n’était pas toujours extérieur ?
Ibn Arabi l’exprimait ainsi : « Celui qui se connaît lui-même connaît son Seigneur. »
L’homme est un miroir du divin, voilé par son ego, son nafs, cette part basse de l’âme qui l’éloigne de sa propre lumière. Rûmî, encore lui, disait que le vrai combat se joue à l’intérieur. Iblis, aveuglé par l’orgueil, n’a vu que l’argile. Il a méprisé le souffle divin. Il n’a pas cru en cette lumière capable de transcender l’instinct.
Et peut-être que le véritable piège, c’est ça : accuser Satan… alors que bien souvent, c’est notre propre cœur qui nous égare.
Il y a, en nous, une force capable d’un amour immense, mais aussi d’un déni glacial. Une lumière, mais aussi une ombre. Il faut parfois craindre sa propre âme plus que n’importe quel démon.
Et si je me pose toutes ces questions, sans toujours trouver de réponse, c’est parce qu’au fil de ma vie, bien que courte, j’ai vu des choses. J’ai croisé une humanité lumineuse, rayonnante, aimante, mais aussi sa face sombre, violence, cruauté, indifférence. Parfois, j’ai vu les deux dans un même regard, un même geste.
Je ne prétends pas toujours comprendre, ni avoir toutes les réponses. Parfois, c’est dans l’acceptation du mystère que naît la paix. Mais je me demande, qu’est-ce qu’être humain, au fond ?
Peut-être que c’est justement cette tension entre lumière et obscurité. Cette imperfection, ce déséquilibre constant, ces forces contraires qui cohabitent en nous. Ce paradoxe vivant.
Le combat du bien contre le mal, n’est-ce pas avant tout un combat intérieur ? Un théâtre invisible où se rejouent sans cesse les mêmes choix ?
L’homme est à la fois son propre ennemi et sa propre raison d’espérer.
C’est dans cette lutte intime cette confrontation avec soi-même, que réside peut-être la vraie nature humaine.
Alors, je m’adresse à l’univers
À cette force mystérieuse qui a tout façonné
Je lui murmure combien l’être humain m’apparaît
à la fois parfait et imparfait
un paradoxe vibrant, une faille sacrée
Je lui confie mon émerveillement,
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Et peu à peu
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